Quel avenir pour la pépinière de collection en France ? (publié le 5 novembre 2016)

Pour que nous soyons tous d'accord sur le thème du sujet, j'ouvre mon Larousse à la définition du mot 'pépinière' : Terrain où l'on bouture, marcotte, sème et élève des arbres fruitiers, forestiers ou d'ornement destinés à être replantés.

Comme dans de nombreux domaines, le secteur de la pépinière souffre beaucoup actuellement de la concurrence étrangère, d'un changement en profondeur du marché et des habitudes des consommateurs et d'un désintérêt certain de la profession par les jeunes générations et les gouvernements successifs.

La France est (était?) un pays de jardins avec une histoire riche et des concepteurs mondialement connus. Les jardins à la Française, même si ils ne sont pas les plus riches en terme de diversité végétale, sont renommés dans le monde entier. Au 19° siècle, la France fait également partie des pays à la pointe de la botanique avec les grands explorateurs dont de nombreuses plantes portent encore les noms aujourd'hui. Mais notre pays n'a jamais eu la culture « jardin » comme nos voisins britanniques, hollandais ou même belges et allemands. Et ne parlons pas des japonais !

Si je parle de botanique, c'est parce que je pense que tout est lié avec l'activité horticole. Un petit historique s'impose donc afin de mieux comprendre le contexte actuel qui vaut aussi pour les pépinière productrices de plantes peu communes.

Depuis des siècles, l'homme a voyagé à la découverte de nouvelles plantes (et de nouveaux animaux également). Au 19° siècle, période faste pour les explorations botaniques, des très nombreuses nouvelles espèces ont été découvertes, introduites et décrites. Aujourd'hui encore, une grande partie des plantes de nos jardins ont été nommées à cette époque. De nombreuses flores ont été rédigées et de très nombreux articles publiés. Mais on oublie aussi souvent que ces explorations avaient un deuxième but : l'horticulture. En effet, bien souvent, il s'agissait de trouver de nouvelles plantes au fort potentiel ornemental afin d'enrichir les pépinières puis les jardins. De grandes expéditions étaient d'ailleurs financées par les grosses pépinières de l'époque comme les célèbres pépinières Veitch en Angleterre. Sans l'introduction de toutes ces plantes, nous n'aurions pas aujourd'hui de cultivars de clématites à grandes fleurs, d'hortensias, autant d'iris...

C'est à cette époque que les grandes collections ont vu le jour, notamment dans les jardins botaniques où les plantes nouvellement introduites étaient exhibées et de grandes serres construites. Les plantes étaient transmises des jardins botaniques aux horticulteurs et pépiniéristes pour qu'ils les multiplient et les diffusent. A l'époque, c'était une démarche normale. Les horticulteurs avaient donc beaucoup de nouvelles espèces à leurs catalogues et du matériel pour les hybridations et créer ainsi de nouveaux cultivars. Aujourd’hui, les choses ont bien changé et le fossé est devenu abyssal entre collections botaniques et pépinières. En fait, tout a changé et les problématiques sont nombreuses : argent, rapport entre institutions publiques et privées, plantes menacées et protégées, restrictions des droits de collectes... Le premier problème fût le désintérêt des pouvoirs publics français (toujours valable de nos jours) pour la botanique après la seconde guerre mondiale. Nos jardins botaniques sont alors entrés dans une profonde léthargie dont ils ne sont sortis qu'au début des années 2000. Mais les budgets et les priorités n'étant plus les mêmes, les explorations botaniques n'ont plus été d'actualité. Le manque de moyens pour entretenir les serres par exemple est flagrant. Aujourd'hui, ceci n'a guère changé quand on voit que l'on est prêt à raser les fabuleuses serres d'Auteuil pour des cours de tennis ! La botanique souffre au 20° siècle d'un image vieillotte. On imagine un botaniste comme une personne ridée, avec une longue barbe blanche et de vieux grimoires poussiéreux ! Je me souviens, il y a bien 15 ans maintenant, d'avoir rencontré la rédactrice en chef de l'époque de la revue du CCVS Hommes & plantes où j'avais écrit plusieurs articles. Elle me dit "ah c'est vous ! Je vous imaginais bien plus vieux !!!".

Heureusement, de ce côté ci, les choses ont évolué et aujourd'hui, bon nombre de botanistes sont à l'heure d'Internet. Au début des années 2000, l'activité pédagogique a permit aux jardins botaniques de sortir de leur long sommeil. Mais les collections botaniques ne sont plus prioritaires et la relation avec l'horticulture en piteux état. Au nom de la protection des espèces menacées, les jardins ne diffusent plus. C'est là, à mon sens, une grosse erreur de la protection des plantes. En effet, il y aura toujours des collectionneurs à la recherche de LA plante, quel qu'en soit son prix. Tout mettre sous cloche revient à encourager les pillages illicites en nature. Avant, une plante était facilement transmise dans le circuit horticole et donc, disponible pour les jardiniers. Aujourd'hui, ce n'est malheureusement plus possible au nom d'accords internationaux de protection de la nature, qui ne protègent rien...

L'offre disponible pour les pépinières s'est donc fortement réduite et les hybrides horticoles ont pris le dessus. Quant aux espèces sauvages, elles sont bien souvent issues de graines collectées (pas toujours légalement) dans des jardins ou arboretums avec le risque très élevé d'hybridations (donc, en sorte, de plantes "fausses"). Et puis surtout, on ne trouve pas (ou très peu) les espèces décrites plus récemment. Or, même si je ne crois pas trop en la conservation ex-situ (c'est à dire conserver des plantes rares en dehors de leur milieu naturel), les jardins peuvent servir à abriter des plantes en voie de disparition (comme le célèbre Ginkgo biloba par exemple sauvé grâce à sa très large diffusion). L'erreur est énorme car, en plus de ne plus étoffer les catalogues en nouvelles espèces, les jardins botaniques auraient tout intérêt à travailler avec les pépinières qui pourraient ainsi assurer la pérennité des vieilles collections avec un travail de multiplication des vieux sujets pour rajeunir les plantations. Les jardins ne sont bien souvent pas assez bien équipé pour ça. Et puis, et ceci est typiquement français, le rapport à l'argent reste problématique. Visiblement, cela pose un gros problème qu'un pépiniériste puisse gagner de l'argent en vendant des plantes issues d'un jardin botanique (de surcroît s'il est du domaine public !).

Il ne reste donc, hélas, pas beaucoup de possibilités aux pépinières. Il faut se créer des réseaux entre collectionneurs-collecteurs et ceci peut prendre presque toute une vie ! Les expéditions botaniques pour collecter du matériel me semble, encore aujourd'hui, primordial. Il y a encore tant à introduire et à tester en culture. Tant d'espèces qui pourraient devenir des parents de nouveaux hybrides ou qui donnerait de nouveaux remèdes ou aliments... Quand je vois tout ce que l'on peut trouver dans les montagnes de l'Himalaya, de Chine ou encore de Taiwan...

Alors, les purs « écolos » (qui, pour beaucoup, n'ont rien compris à la protection de l'environnement) vous diront que collecter c'est piller la nature. Il est certain qu'il y a eu et qu'il y a encore des abus. Quand on pense aux milliers de tonnes de bulbes collectés illégalement en Turquie par exemple, il y a de quoi réagir. C'est toujours le problème des excès et il faut lutter contre la collecte de plantes. Mais prélever quelques graines sur un arbre n'a jamais été pour moi un pillage de la nature. Tout d'abord parce que les graines collectées auront bien plus de chances de germer bien à l'abri de la pépinière qu'en pleine nature et que, de toutes façons, quand on voit le nombre de graines sur un arbre et le pourcentage qui donne un nouveau plant en conditions in-situ... Ceci reste la meilleure source de matériel car, contrairement aux graines collectées dans des jardins, le risque d'hybridations est quasi nul. Il ne fait pas de mal, de temps en temps, de réintroduire une espèce. Et puis, on parle de protection. Mais il faut voir comment cela se passe dans les pays où l'on herborise. Je me souviens d'un petit iris que nous avions collecté en Turquie, un tout petit sachet de graines, sur le site où un lotissement était en cours de construction. Croyez moi, là-bas, pas d'étude préalable ou de plan de sauvegarde. Ou encore ce superbe Viburnum brevitubum que j'avais collecté dans un lieu de la vallée de Wolong dans le Sichuan en Chine qui s'est retrouvé englouti par le terrible séisme de 2008. Tout a disparu. Il en reste au moins quelques plants ici et dans les jardins des clients. Ou cette superbe vallée sur un haut plateau tibétain devenue une autoroute...

Si les conditions de voyages actuelles n'ont rien à voir avec celles du 19° siècle, il y a tout de même toujours des pertes dans le matériel collecté, avec un semis qui ne germe pas par exemple. Et puis, bien souvent, on fait de vraies petites trouvailles mais faut-il encore trouver des graines ! Et puis les collectes permettent d'avoir des plantes sous la main toute l'année, ce qui, pour un botaniste est intéressant pour observer toutes les phases de croissance de la plante au lieu de la voir juste à un moment donné sur le terrain. Je connais un botanise américain qui a pu ainsi décrire plusieurs nouvelles espèces de Polygonatum. Nul doute que ces nouvelles plantes se retrouveront un jour dans quelques pépinières. Pour clore, les voyages botaniques permettent également d'introduire dans nos pays des variétés horticoles inconnues pour nous, comme des pivoines de Chine, des iris ou hortensias du Japon.

Nous sommes donc dans une période où les liens entre les collections végétales et les pépinières sont rompus. Il en est de même avec les collectionneurs privés qui gardent trop souvent leurs plantes jalousement. Ceci est typiquement français. Mais lorsque le collectionneur disparaît, ses plantes le suivent généralement rapidement, sans avoir été diffusées. C'est dommage. Mais le métier de pépiniériste se heurte actuellement à de nombreuses autres difficultés.

La première étant, et ça ne concerne pas que la pépinière, que nos entreprises sont beaucoup plus taxées que nos voisins européens, donc moins compétitives. La TVA sur les plantes a doublé en deux mandats présidentiels, celles sur le terreau à explosé. Nos voisins ont des taux plus bas et, de plus, certains ont des aides pour vendre à l'étranger. A cela s'ajoute une organisation professionnelle inexistante. Qui pour représenter le secteur horticole ? Val'Hort ? Une fumisterie de l'aire Chirac que l'on paye uniquement pour financer des 4x3 dans les villes à la fête des mères pour faire la promotion de roses venant... de Hollande, d'Israël ou d'Afrique ! Nous sommes loin de l'organisation des hollandais. Cela s'explique par le fait que nos gouvernements ont toujours privilégié l'agriculture intensive et non la filière horticole, au contraire des hollandais par exemple.

Ensuite, les modes de consommation ont changé. Hors, la nature n'est pas passé au haut débit ou à la fibre optique ! Il faut toujours autant de temps pour produire un arbre par exemple. Mais les consommateurs n'ont plus la patience, ils « zappent » très rapidement. On veut telle plante maintenant et pas dans un an. D'où la difficulté pour un producteur d'être en phase avec les envies des jardiniers.

Les lieux d'achat ont également évolués. Les jardineries sont des supermarchés du jardin proposant non seulement des plantes mais aussi les outils, les animaux et tout ce qui tourne autour du jardin. Aujourd'hui, un pépiniériste qui reste chez lui à attendre les clients à du mal à vivre. D'où le nombre extraordinaire des fêtes des plantes existant maintenant. Mais, même pour une foire de 2 jours, il faut compter, au minimum, 5 jours de travail à temps plein pour préparer, étiqueter et charger les plantes puis, au retour les décharger. Au printemps, nous sommes seulement parfois présents 2 jours à la pépinière. Difficile donc de faire la production dans ces conditions ou d'avoir toujours un stand hyper attractif et fleurit, à moins de recevoir de belles plantes toutes fraîches toutes les semaines. De plus, ces foires ont un coût (carburant, péages, usure des véhicules, prix des stands, des fournitures comme un barnum, des étiquettes, des tables...) rabotant encore un peu plus les marges. C'est un peu comme si un ouvrier fabriquant des voitures devait aussi aller les vendre le week-end et gérer tous les contacts clientèle...

Autre difficulté, des décennies où les métiers manuels ont été dévalorisés en France. On ne compte plus les classes de pépinière ou horticulture qui ferment dans les lycées professionnels. Notre métier n'est pas attractif. Travailler 7 jours sur 7, presque toute l'année, souvent sous la pluie et dans le froid, pour moins d'un SMIC, n'intéresse plus grand monde. Il faut vraiment être passionné et savoir mener sa barque. La relève n'est donc pas assurée. C'est un maraîcher ou un éleveur qui devrait toucher 10.000 euros par mois car il nourrit la population, et pas certaines catégories professionnelles que je ne citerait pas !

De nos jours, il est bien plus facile de commander ses plantes pour le printemps ou l'automne, de les recevoir toutes belles avant le début de la saison, et d'avoir l'été et l'hiver tranquilles. Qui veut encore, par exemple, cultiver des chrysanthèmes durant 6 mois, de « jouer » sur la durée du jour et de la nuit afin de les avoir en fleurs pîle à la Toussaint, alors qu'il suffit de les commander et de les recevoir 2 ou 3 jours avant ? Le public ne le sait pas, mais même dans les plus grosses foires aux plantes, on atteint parfois jusqu'à 80% de non producteurs (à savoir des éleveurs de jeunes plants achetés ou de simples revendeurs comme des jardineries). Rares sont ceux qui sèment, bouturent ou greffent eux-mêmes leurs plantes. De toute façon, aujourd'hui, les pépinières font souvent un 'mix' entre production, élevage et revente. Imaginez que sur 1,3ha chez nous, 1ha est dédié uniquement à la culture des pieds-mères ! A cela s'ajoute 2,5ha qui seront, à terme, plantés d'arbres pieds-mères. Cela demande également un gros travail d'entretien et rares sont ceux qui veulent assumer ce travail de nos jours.

On voit aussi de plus en plus de personnes ayant un métier à côté (paysagiste à temps plein , professeur, fleuriste, grossiste..) venir faire un petit plus les week-end mais concurrençant ceux qui ne vivent que de cette activité et qui payent leur MSA plein pot. Le pépiniériste-producteur ressent alors une injustice et une non reconnaissance de son métier. Un peu comme un boulanger se levant à 4h du matin pour faire ses croissants alors que son voisin se contente de cuire une pâte industrielle mais qui s'affiche aussi comme 'boulanger'. Ou encore comme nos marchés de noël 'artisanaux' qui font la part belle au Made in China. Mais soyons honnêtes, combien de personnes se soucient de savoir si la plante a été produite en France ? Quand on lit que 80% des français ne se soucient même pas de l'origine de la viande qu'ils achètent en supermarché ! Alors, un produit non alimentaire... Nous sommes dans une société qui consomme mais ne fabrique plus (ou presque). Nous acceptons de mettre des vêtements fabriqués à l'autre bout du monde, de meubler notre maison avec des produits venant de tout aussi loin... Puisque nous avons sacrifié nos industries textiles et autres, pourquoi pas la filière horticole... Peut être que nous devons juste l'accepter et nous simplifier la vie en achetant nos plantes en Hollande, en Belgique, en Allemagne ou en Italie. Nous aurons des plantes toujours belles et bien vertes sur nos stands, une offre adaptées aux envies du moment et beaucoup moins de soucis.

Peut être que, au final, nous sommes coupables de nous entêter à vouloir vivre de notre passion et de l'amour de notre beau métier. Alors, bien sûr, l'offre se réduit car on ne produit pas une plante rare et au potentiel commercial faible à 20.000 exemplaires. On retrouve donc les mêmes plantes de partout. Mais cela vaut pour beaucoup d'autres produits que les plantes. Mais, comme je le disait au début de cet article, les amateurs de plantes 'rares' sont trop peu nombreux en France pour permettre aux pépinières de collection de (sur-)vivre. Peut être faut-il alors juste garder en production quelques plantes moins courantes et compenser par une autre partie de plantes plus communes achetées à l'extérieur. Pour ne citer qu'un exemple, les trophées de Saint Jean de Beauregard de cet automne 2016 sont une éloge aux plantes belges et hollandaises... C'est triste car les foires aux plantes ont un rôle à jouer dans la connaissance et la diffusion, via la presse et les visiteurs, de nouvelles plantes et devraient favoriser celles produites par les pépiniéristes eux-mêmes.

Alors, pour se démarquer, il faut sans cesse dénicher de nouvelles espèces ou variétés. Ceci est très intéressant et excitant mais là aussi, il est difficile de « résister » face à ce que l'on pourrait appeler 'les requins', à savoir des pépiniéristes belges ou hollandais la plupart du temps, qui achètent sur les foires aux plantes les nouveautés et qui disposent de structures de multiplication à grande échelle. Bien souvent, nous ne 'profitons' de notre trouvaille que un à deux ans. Il n'est pas possible pour une petite pépinière d'investir dans de grosses infrastructures et dans du personnel. Déposer le nom d'une variété est très coûteux. Cela peut se comprendre pour une obtention destinée à l'agriculture de masse et qui sera plantée à des millions d'exemplaires. Impossible de rentabiliser la grande majorité des plantes à but ornemental. Il faudrait peut être créer une forme de dépôt moins coûteuse pour ce type de végétaux. Même si j'ai toujours été pour la diffusion des plantes peu courantes, c'est tout de même un peu rageant de voir un concurrent tirer bénéfice d'une plante que vous êtes allé chercher vous même à l'autre bout du monde, sous forme d'une petite bouture à peine racinée, que vous avez bichonné plusieurs mois avant d'en multiplier quelques exemplaires. Les petites pépinières se font alors devancer par celles pouvant multiplier rapidement à grande échelle (in-vitro le plus souvent mais aussi micro-bouturage ou greffage à grande échelle).

Alors, pourquoi ne pas envisager un partenariat avec une grosse boite pouvant assurer la multiplication à grande échelle et la diffusion moyennant des royalties aux 'découvreur' de la variété ? Pour l'instant, les entreprises françaises connues dans cette activité ont démontré leur passivité en la matière ! Je trouve qu'il serait dommage de se tourner vers des pépinières étrangères.

Le secteur du végétal est donc dans une mauvaise passe, que ce soit pour les grandes ou petites pépinières mais aussi pour les jardineries. Les petits producteurs de plantes peu communes sont sans doute les plus touchés et il faut peut être se résoudre à ce que toutes nos plantes soient produites dans un autre pays. Le public souhaitant, en plus, des plantes bien vertes et fleuries sur les stands (quitte à ce qu'elles crèvent en 3 mois), un peu comme une jolie tomate bien lisse mais sans goût ou comme le 'miel' qui vient presque en totalité de Chine maintenant.

La vente du végétal regroupe plusieurs métiers que je ne critique pas. Mais il est difficile pour les acheteurs de clairement identifier les producteurs des éleveurs ou des revendeurs même si moins de 5% de personnes s'intéressent à l'origine des plantes qu'elles achètent. Mais la législation française est très floue en la matière et pas seulement pour le végétal. Si vous achetez une plante et que vous la gardez 3 semaines en 'pépinière', même sans rempotage, vous pouvez la mettre comme produite en France ! Il en est de même avec la vente par correspondance où les plus gros acteurs actuels sur Internet sont des sites de revente. Après, hormis les jardineries, paysagistes à temps plein ou grossistes de plus en plus présents sur les fêtes des plantes, il y a de la place pour tout le monde -même pour les éleveurs et les revendeurs - du moment que ce sont des personnes honnêtes, proposant des nouveautés ou des plantes plus rares, les connaissant pour donner les bons conseils et n'étant pas des marchands de tapis. Sinon, il vont tuer notre profession et le public se détournera des foires aux plantes (souvent payantes) comme il le fait actuellement avec les jardineries. Et la tendance actuelle sur de nombreuses fêtes des plantes ne va pas dans le bon sens. Plusieurs sont en passe de devenir des 'floralies' avec des stands de plantes sortant tout juste de serres, toutes plus flashys les unes que les autres. C'est beau et attractif pour le public mais ce n'était pas le but premier des foires aux plantes.

 

La naturalisation des végétaux exotiques

Une page d’histoire…
Je vous parle souvent de la biodiversité et des difficultés actuelles d’introduire et de tester de nouvelles plantes en culture sans être pointé du doigt comme étant un potentiel terroriste écologique. La question n’est pas prête d’être close.
J’ai trouvé dans les archives, ce texte de Mr.Naudin, publié en 1866 dont le titre était «naturalisation de végétaux exotiques ». Bien que datant de près de 150 ans, je trouve ce texte encore très actuel et il illustre bien nos difficultés lors de nos introductions de plantes.
Ce texte a été écrit à l’occasion de la (première ?) fructification du cèdre de l’Himalaya en France.

Cedrus deodara 1.Pinetum Brit.1884

"L’introduction de végétaux, surtout de végétaux utiles, dans les pays qui ne les possèdent pas naturellement, est sans contredit un des côtés les plus attrayants de la culture de la terre. Toute la question est de les assortir au climat et aux conditions économiques des lieux et des temps. Ce qui a fait la gloire de Parmentier, ce n’est pas d’avoir découvert la pomme de terre, qu’on connaissait bien avant lui, mais d’avoir compris le premier qu’elle pouvait tenir une place importante dans l’agriculture moderne et de l’avoir fait accepter. Au surplus, le mérite n’est pas moindre pour ceux qui savent découvrir dans les simples végétaux indigènes des propriétés restées jusque-là sans emploi, et qui parviennent, en les améliorant, à en tirer de nouvelles ressources agricoles. Quels services, par exemple, n’ont pas rendus les inventeurs de la betterave, du trèfle, de la luzerne, du sainfoin, et de quantité d’autres plantes devenues, ici ou là, une nécessité dans l’exploitation du sol ? La voie n’est pas nouvelle, sans doute, et bien des explorateurs l’ont déjà parcourue ; mais qui oserait dire qu’elle est épuisée et qu’il n’y a plus de découvertes à faire ?
Qu’on ne croie pas d’ailleurs que ces découvertes soient faciles et qu’elles s’offrent d’elles-mêmes au premier venu ; pour les faire, il faut une  perspicacité qui n’a pas été donnée à tout le monde. La connaissance des plantes est loin d’y suffire ; il faut y ajouter une sorte d’intuition des besoins du moment, deviner, pour ainsi dire, que la nature consentira à s’y plier, et, si elle résiste, savoir l’y contraindre par de savants artifices. Mais c’est là le point épineux, c’est là que beaucoup d’expérimentateurs succombent. Enfin, l’art le plus ingénieux lui même reste impuissant si les circonstances ne lui viennent pas en aide. Combien, depuis une cinquantaine d’années, n’a t-on pas vu d’essais, en apparence parfaitement conçus, échouer, faute de ce quid tertium plus facile à nommer qu’à définir ? Contre cette dernière difficulté, il n’y aurait qu’une ressource : lutter avec une persévérance infatigable ; mais qui consentirait à lutter sans cesse et sans espoir ?
Il y a cependant des caractères assez fortement trempés pour n’être  découragés par rien, et qui meurent à la peine ou triomphent. L’Angleterre, si féconde en améliorations agricoles, nous donne en ce moment une preuve nouvelle de ce que peut la volonté pour vaincre les résistances de la nature. Elle a voulu introduire les arbres à Quinquina dans ses possessions de l’Asie, et, malgré des obstacles multipliés, elle y a réussi. Ses plantations de  Quinquina occupent dès à présent de vastes espaces, à Ceylan, dans les montagnes des Nilgherries, et jusque dans l’Himalaya, sous un ciel presque aussi tempéré que celui de l’Europe méridionale. A Ceylan déjà, les arbres, presque adultes, ont fleuri et donné des graines, ce qu’on peut considérer comme le criterium de la naturalisation. Dans l’Himalaya, il existait, à la fin de l’année dernière, près de 40.000 pieds de Quinquinas, et ce nombre sera plus que doublé cette année. On se rappelle que, dans ces mêmes montagnes, l’Angleterre a installé, il y a une dizaine d’années, des cultures de thé, aujourd’hui florissantes, et bientôt peut-être les rivales de celles de la Chine. Enfin, si de l’Inde nous portions nos regards sur les colonies de la Nouvelle-Hollande, nous y retrouverions les prodiges de la persévérance anglaise dans sa lutte contre la nature. Toutes ces jeunes colonies grandissent à vue d’oeil depuis qu’on y a introduit, sur une immense échelle, les plantes économiques et les animaux domestiques de l’Europe. Au lieu de disserter sur l’acclimatation, on a agi comme si l’acclimatation était démontrée, et les résultats prouvent qu’effectivement c’était ce qu’il y avait de mieux à faire. En France, nous sommes loin de déployer une pareille activité, ce qui tient peut-être à ce que les ressources privées y sont beaucoup moins grandes qu’en Angleterre. Cependant le champ des expériences est ouvert devant nous tout aussi bien que devant nos voisins. La seule différence est que ce champ d’expériences, au lieu d’être à 5000 lieues de nos côtes, est simplement sous nos pieds. C’est la France elle même, allongée de la Corse et de l’Algérie. Ne médisons pas, cependant de nos compatriotes.

Cedrus deodara 2.Pinetum Brit.1884 Cedrus deodara 3.Pinetum Brit.1884
Cedrus deodara publié dans Pinetum Brit. en 1884

Au milieu de l’indifférence ou de l’impuissance générale à acclimater, on peut citer quelques hommes d’initiative, qui ont pris au sérieux la naturalisation des arbres exotiques, et en ont introduit un bon nombre sur divers points de notre territoire, où on sera bien aise un jour de les trouver. Parmi ces hommes de progrès, il n’est que juste de rappeler ici celui qui s’est le plus signalé dans cette voie, le vénérable créateur de l’arboretum de Geneste, près Bordeaux, M.Ivoy, qui a consacré déjà plus de 40 ans de sa vie à cette utile entreprise. C’est à lui que nous devons de savoir que les arbres de l’Amérique septentrionale ont trouvé dans les landes un climat et un sol favorables, et que, par eux, cette terre jusque-là si peu productive, pourra fournir des bois de construction bien préférables à celui du pin maritime, qui l’a presque  exclusivement occupée depuis des siècles. Nous ne reparlerons pas des succès qu’il a obtenus dans sa longue carrière, mais nous sommes bien aise de pouvoir ajouter à ce que l’on en sait déjà que, le premier en France, il a récolté des graines mûres du cèdre de l’Himalaya, et qu’une vigoureuse génération nouvelle, issue de ces graines, s’élève en ce moment dans ses plantations. On peut donc considérer désormais ce bel arbre comme définitivement acquis à la France.